samedi 18 février 2023

 

Tunnel blanc

 

  C’est comme un tunnel blanc qui tomberait du ciel vers nous, sur nous, comme au ralenti, en tourbillons sans cesse recommencés, recouvrant rapidement les routes et les places d’un manteau fictif, sans épaisseur, de poudre de silence.

   Le pied écrase cette illusion qui fleurit parfois en hiver, il laisse derrière lui de larges traces de caoutchouc découpées dans le manteau du couturier d’Hyperborée, pas à pas. Cela suit les hommes qui rentrent chez eux, cela les accuse presque, ces traces courbes, rythmées, d’une monocorde danse urbaine dictée par le temps. Cela trahit un empressement dépourvu de poésie.

  Mais, bien qu’il faille systématiquement hâter le pas quand on circule dans la ville, ou même dans un modeste bourg montagnard, comme ici, l’œil reste attiré par la manne chue, le regard aime à se perdre  et fourrager inutilement dans les profondeurs de ce tunnel blanc qui nous arrive en pleine face… Nous sommes alors des gargouilles voilées de gel, nous sourions béatement, intérieurement, de notre Docte ignorance… Pourquoi la neige ? Pourquoi aujourd’hui ?   la légèreté de la sensation va de  pair avec le clair sentiment, la certitude même de perdre du temps, franchement de perdre du temps, de laisser le temps tomber en  parachute, en molles pétale de cerisier alcoolique sur le sol noirâtre,  sur nos cheveux noirâtres , nos mains d’asphalte sur, nos godillots bientôt recouvert de manne blanche comme  silence.

  Que de temps perdu à regarder l’en haut disparaître dans l’en bas le long des parachutes de silence, le long  des flocons d’une blancheur de catastrophe au rythme des tourbillons du tunnel…Je serai  bien puni ! puni par la neige accumulée sur ma chevelure, giflé par la neige décongelée je prendrai froid… bientôt je serai coiffé d’un Poulpe dégoulinant son sale mélange d’eau et de neige, ridicule…

Alors je hâterai le pas, je  rentrerai en trombe dans la maison que réchauffe depuis des heures et des heures le pelage  tigré d’un chat qui a abandonné les autres hommes. De là je pourrai à nouveau regarder calmement la neige tomber. Et ce sera même mieux, ce sera plus beau, plus pur, plus lent et  plus silencieux…