La ligne des Montagnes, dessins au fil des crêtes
Dessin minéral et falaises de textes
samedi 30 avril 2022
lundi 25 avril 2022
samedi 9 avril 2022
Le noyer
De la
couleur (bleu-gris) d’un ciel d’avant la pluie, d’avant l’éclat sec de la
foudre. Puis absolument sans couleur, disparaissant, lors des neiges de
l’hiver-longtemps-craint. Tout de brume, de froid, tout d’oubli, alors.
A la
peau talquée, et lisse, comme celle de l’olivier dont il semble le parent, le
lointain cousin du moins (mais plus gras et introverti), des montagnes (presque
toujours l’ombre d’une montagne pèse sur ces noyers partis en avant-garde de la
civilisation, aux confins d’une vallée préalpine).
Pourtant
cette peau, légèrement pâteuse, bleutée, bientôt se craquelle, se crevasse
même, depuis l’entame du tronc jusqu’aux prémices des branches supérieures. Des
branches qui, saisissant votre regard, jettent bientôt sur vos yeux envoutés
une flexueuse toile d’araignée que l’on fait semblant de ne pas voir. Il craque
alors intérieurement le noyer, jouit de craquer de toutes ces extrémités
tentaculaires qui projettent une ombre (toute cérébrale) sur le dormeur imprudent,
sur le dormeur inconscient, en été.
Il y
a, pour moi du moins, quelque chose de définitivement cérébral dans le noyer,
quelque chose de tendu, de saccadé, d’écrit avec les nerfs ; en
particulier dans les extrémités de ces branches qui finissent en crochets, en
boucles presque... Quand on regarde sous la jupe de l’arbre en hiver on voit
alors ces branches lézarder en meutes le bleu du ciel, on les voit percer les
nuages et même interrompre le cercle du Soleil. On dirait qu’elles vont même
pactiser entre elles, ces branches du noyer, se rejoindre dans leur tortueux
effort pour former une véritable voute.
Envoutement
des branches du noyer.
Et pourtant
il demeure quelque chose de mou, de réellement flexueux, dans les crispations
cérébrales du faiseur d’huile... La toile d’araignée mollement se balance dans
le ciel, retenue par le tronc bleu-gris qui l’amarre aux profondeurs
chtoniennes. Un tronc sans caractère, sans véritable passion. lisse et talqué,
crevassé par l’effort de croître. Attire puis repousse, le noyer, toujours gras
et introverti, doux et sombre, aimable mais peu attaché, et peu attachant
aussi.
En
avant-garde de la civilisation dans les vallées drômoises ou d’Isère, seul,
isolé, il fait craquer ses branches, souvent au mitan d’un champ de cailloux
nouvellement hersé, lance sa belle voute d’un vert avocat par-dessus la terre
marron-rouge, en regard des montagnes qui lui préparent ces éclairs, cette
électricité qui le fait croître de cette manière, nerveuse, crochue, saccadé,
pas du tout huileuse en tous cas...
jeudi 7 avril 2022
Oule, mars-avril 2022
Hêtraie de la montagne d’Oule
Hêtraie d’Oule, surgissant en ta base d’un
entonnoir de calcaire invisible, mais dont on devine assez naturellement la
forme cave et la nature d’impasse radicale pourvu qu’on laisse son regard dévaler
les pentes abruptes qui mènent vers ce bas,
tu es la fois vieille (pleine de souches, lourde des remugles de feuilles
jaunes comme le soleil vieillissant d’après
18 heures) et jeune comme le printemps.
Tu es vieille et jeune, comme tout ce qui relève, exclusivement, sans
mélange ni mixture de genres, de la nature.
Depuis des bas-fonds ombreux et
confus, les troncs blanchâtres filent la métaphore farineuse, sursautent, se
tiennent par la racine, nous arrivent, remontant héroïquement, étage après
étage, la pente de l’entonnoir...
On peut les voir grimper, faire
la course, puis arriver à hauteur de sentier.
Et quand on les voit de près on
peut se rendre compte que cet arbre a une peau (une peau de saucisson) qui
compresse sa chair, lourde et pulpeuse, et bourrelle le tronc. Une peau qui a
aussi à voir avec l’élancement exceptionnel de cet arbre-athlète.
Il s’élance avec une énergie grise,
comme un poteau, vers les crêtes ; étincelle dans la pénombre du troupeau
d’Oule, le hêtre.
Troncs blanchâtres, aujourd’hui,
plus farineux que d’habitude, troncs moisis par endroit, ou sombres comme la roche pensive de novembre ou décembre ;
troncs immobiles, ou errants, fantomatiques, car l’heure est à l’hiver, de
nouveau, en ce début d’avril et le ciel bas laissera bientôt filtrer (alors que
j’approche l’échine de mulet de cette montagne à hêtre et genêt qu’est Oule) de
délirant flocons, bientôt réduits à rien, mais blancs tout de même et pleins d’une
vie aussi minuscule qu’intraitable.
Ce polystyrène rejoindra bientôt à l’issue d’une chute qui n’en finit pas de
légèreté, les troncs noueux, moussus et claffis de bourgeons des chênes blancs.
C’est alors rencontre entre la sève encore encapsulée et cette expression
météorologique anachronique, pleine d’une soie glaçante, des nues, qui rajeunit
ce qui était pourtant déjà nouveau, jeune, et printanier.
dimanche 20 mars 2022
Chemin printanier
Le chemin est étroit. Le sentier,
dès l’entame, se resserre mais l’énergie qu’il suscite s’en trouve comme décuplée ;
imprime au corps un allant qui le surprend, relance le souffle que comprimait l’horloge. D’abord rigoureux, et contraignant à une certaine congruence des membres
et des organes (respiration, sang, pensées), il se détend bientôt en larges
boucles ascendantes, réservant des trouées au travers des branchages- qui
flottent- des pins rougis.
En direction d’un plateau de
Furmeyer à hauteur de nuages.
Dans le blanc d’une après-midi maussade, se
succèdent les clairières ventées ouvrant sur les balcons de Céüze, les pierriers
poussiéreux et brutaux qui coulent vers la rivière, et, aux virages, les troncs
nus ou tomenteux des arbres dont je cherche encore le nom. Alors, avec cette
timide mais tenace tramontane qui murmure à l’oreille la complainte du
printemps, vient l’ivresse d’avoir dénoué son licou, et la joie païenne de l’immersion
totale quand on s’enfonce corps et âme, à la recherche des nuages altiers de Furmeyer,
dans le pelage verdissant des bois.
La verroterie bleuâtre des
pierres concassées, au départ, annonçait déjà une certaine légèreté printanière
qui ne fait que se confirmer au fil de l’ascension vers le plateau, alors que s’enflent
les poumons des pins le long du gris des routes, en contrebas, et que des
vaches s’abreuvent librement à l’eau grise de la rivière ; inhabituelle
présence disant, semble-t-il quelque chose d’un retour général de la vie, enfin sortie des
étables austères.
Les genêts, les pins, les
amélanchiers aussi vêtus que des ballerines, et l’herbe verdissant, mais aussi
la pierre qui grimace et les monts du lointain dessinent dans le blanc de l’après-midi
une nouvelle présence point encore complètement confirmée mais allant, avec le temps et la
rivière où boivent les génisses, vers sa réalisation.
C’est à la parallèle de cette réalisation,
qu’illustre si bien la rivière en contrebas, étirée entre sa source et la mer, que
je marche aujourd’hui, avec de part et d’autre du chemin le vert poli des
plantes nouvelles, des longues graminées jaunies mises à l’épreuve par le vent.
Confession :
C’est le chemin de cette réalisation,
si évident depuis les hauteurs lorsqu’on observe l’allant de la rivière libérée
de sa source, que j’aimerais parfois directement emprunter, en passager
clandestin des forêts et des monts ; mais je ne suis ici qu’un visiteur- ainsi
je me raisonne- du pelage reverdissant, et ce temps-là qui coule de source, le
temps de la réalisation cyclique des fleurs et des fruits, pourrait également être d’une
éternité rapidement usante pour l’humain.
Alors
Je vais le long du chemin abstrait,
à la parallèle du printemps.