mercredi 19 juillet 2017

Au dessus de Corps



Au-dessus de Corps

La lente gymnastique de la création -quand les forêts sortent de leur œuf et mettent à vif une toison,-des effets d’ombre et de lumière, sur une même peau-, ou que les prairies ont des soudaines inflexions de ravines, que les torrents étincellent dans les galeries qu’ils forent de leur tête de bélier, par exemple-, se met immanquablement en place pour peu qu’on prenne la peine de se hisser vers des hauteurs, d’une manière ou d’une autre ;  par le ruban d’une route de montagne, si bien écrite qu’on la croirait presque naturelle, en l’occurrence.
Il pleut, la montagne se met, croirait-on, à genoux, prête à nous prendre sur son épaule dégoulinant d’eau grise. Dans les champs, devant le cimetière canadien, paissent des vaches tachetées de noir, ou de blanc, c’est selon, fouillant de leur museau râpeux dans le profond sommeil des herbes ...épilobes, angéliques orties, graminées... des bouquets de noms disparaissent dans les sombres cavités des estomacs, disent trop vite adieu à l’été. Car, dans l’esprit de cette gymnastique, l’un mange l’autre.
Lente gymnastique de la création. Les muscles du corps, du corps de la montagne je veux dire, se tendent sous le poids des nuages, d’une colère atmosphérique nourrie si tôt par les aboiements du soleil, tombé dru depuis le petit matin : dans les vasques des lacs, sur les mélézins, les routes désertes du Dévoluy, et puis, enfin, mangé par les nuages. Se durcit une nuque de schiste, une anche de granit émerge des conifères velus, un chicot de calcaire rit à flanc de falaise, dragué par les choucas. Quelquefois je vois mêmes des mains agripper de leurs de doigts de calcaires jaune comme le fond de l’été des forêts auxquelles les hommes ont lâché depuis longtemps la bride ; c’est une course ou même une émulation entre la pierre vivante et les racines des hêtres qui fulminent sous la terre rouge de pentes trop érodées.
Les nuages s’écrasent contre le front d’une falaise aussi dure qu’un granit d’enfer. L’un mange l’autre, des muscles, des flexions culminent avant de passer dans l’ombre, et la route continue à monter par un ressort d’apesanteur, selon une logique panoramique qu’accompagnent les obliques ombellifères planant au-dessus des précipices bleu-gris.
La route continue à monter et vaine apparaît peu à peu cette gymnastique à laquelle quelque chose, le ciel peut-être et son impassibilité de barrage, ou son verbe réservé, fait mordre la poussière du souvenir.
Car la création ne se possède malgré cette spectaculaire gymnastique, le long de cette colonne torsadée de route menant vers le ciel. Elle ne possède pas sa propre tête qui est dans les nuages, dans le champ du verbe réservé, dans la haute atmosphère salée par un silence que je suis venu respirer, aspirer...
De là-haut :
Merveilleux draps, étendards steppiques des alpages aussi souples que les vagues du verbe atmosphérique...
Non elle ne se possède pas ni ne peut se dire. Il faut encore monter, assez haut pour que les champs et les forêts qui nous apparaissaient jusqu’à la si prégnants, aux si incontestable signatures à vue d’œil, n’aient plus que l’épaisseur et les couleurs en demi teintes du souvenir, pour que tout cela ne soit plus que vagues et draps secoués, en un même mouvement d’alpes et de steppe ; de Verbe surtout.