Au-dessus de Corps
La lente gymnastique de la
création -quand les forêts sortent de leur œuf et mettent à vif une toison,-des
effets d’ombre et de lumière, sur une même peau-, ou que les prairies ont des
soudaines inflexions de ravines, que les torrents étincellent dans les galeries
qu’ils forent de leur tête de bélier, par exemple-, se met immanquablement en
place pour peu qu’on prenne la peine de se hisser vers des hauteurs, d’une
manière ou d’une autre ; par le
ruban d’une route de montagne, si bien écrite qu’on la croirait presque
naturelle, en l’occurrence.
Il pleut, la montagne se met,
croirait-on, à genoux, prête à nous prendre sur son épaule dégoulinant d’eau
grise. Dans les champs, devant le cimetière canadien, paissent des vaches
tachetées de noir, ou de blanc, c’est selon, fouillant de leur museau râpeux
dans le profond sommeil des herbes ...épilobes, angéliques orties, graminées...
des bouquets de noms disparaissent dans les sombres cavités des estomacs, disent
trop vite adieu à l’été. Car, dans l’esprit de cette gymnastique, l’un mange
l’autre.
Lente gymnastique de la création.
Les muscles du corps, du corps de la montagne je veux dire, se tendent sous le
poids des nuages, d’une colère atmosphérique nourrie si tôt par les aboiements
du soleil, tombé dru depuis le petit matin : dans les vasques des lacs,
sur les mélézins, les routes désertes du Dévoluy, et puis, enfin, mangé par les
nuages. Se durcit une nuque de schiste, une anche de granit émerge des
conifères velus, un chicot de calcaire rit à flanc de falaise, dragué par les
choucas. Quelquefois je vois mêmes des mains agripper de leurs de doigts de
calcaires jaune comme le fond de l’été des forêts auxquelles les hommes ont
lâché depuis longtemps la bride ; c’est une course ou même une émulation
entre la pierre vivante et les racines des hêtres qui fulminent sous la terre
rouge de pentes trop érodées.
Les nuages s’écrasent contre le
front d’une falaise aussi dure qu’un granit d’enfer. L’un mange l’autre, des
muscles, des flexions culminent avant de passer dans l’ombre, et la route continue
à monter par un ressort d’apesanteur, selon une logique panoramique qu’accompagnent
les obliques ombellifères planant au-dessus des précipices bleu-gris.
La route continue à monter et vaine
apparaît peu à peu cette gymnastique à laquelle quelque chose, le ciel
peut-être et son impassibilité de barrage, ou son verbe réservé, fait mordre la
poussière du souvenir.
Car la création ne se possède
malgré cette spectaculaire gymnastique, le long de cette colonne torsadée de
route menant vers le ciel. Elle ne possède pas sa propre tête qui est dans les
nuages, dans le champ du verbe réservé, dans la haute atmosphère salée par un
silence que je suis venu respirer, aspirer...
De là-haut :
Merveilleux draps, étendards steppiques
des alpages aussi souples que les vagues du verbe atmosphérique...
Non elle ne se possède pas ni ne
peut se dire. Il faut encore monter, assez haut pour que les champs et les
forêts qui nous apparaissaient jusqu’à la si prégnants, aux si incontestable
signatures à vue d’œil, n’aient plus que l’épaisseur et les couleurs en demi
teintes du souvenir, pour que tout cela ne soit plus que vagues et draps
secoués, en un même mouvement d’alpes et de steppe ; de Verbe surtout.
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