Voyages, films, et rêves ou
inversement
Marcher, c’est bien connu, permet
de parler en soi, ou de laisser parler quelque chose, en soi. De se laisser
tirer par la parole. Marcher permet de penser tout simplement, sans que la pensée nous
alourdisse, nous retienne d’aller. Nous pouvons sortir momentanément de la
carte froissée, congestionnée, abondamment raturée et pleine de trous des
hommes et aller sur l’échine des montagnes, là où affleurent des os comblés de
lumières ; nous allons de l’avant tandis que sur l’immense écran du ciel
passent les nuages et que tous les acteurs, depuis le boucher de quartier,
jusqu’au voisin de palier ont disparu.
La carte s’éclaire, beaucoup de
choses s’expliquent en ce qui concerne l’ordonnancement précis des
montagnes et leur rapport au visible, et à l’invisible. Au loin des villes
apparaissent à leur place réelle, toutes petites, affreusement concentrées,
feuilletée de béton, enveloppé d’orgueil technologique, invisibles à
elles-mêmes : des villes seules. Les déplacements qui ont lieu en elles
nous paraissent désormais dérisoires. Là-bas plus rien ne bouge, suis-je tenté
de me dire.
Le film est toujours le même avec les mêmes acteurs, les mêmes décors...Il semble en outre que tout s’y passe
comme dans un rêve car plus la
technologie s’appesantit sur notre monde, sur notre corps, plus elle fait de nos vies des
rêves dérisoires...
Tandis que là, hors de la carte
du quotidien, nous filmons les nuages réels du ciel, l’échine pelée, rousse,
roussie, jaunies des montagnes.
Nous filmons le vent dans les
hêtraies. Nous rêvons avec les pieds ; la sueur en est le signe. Nous
voyageons sur le dos des montagnes. Nous participons à l’expansion du monde et
de la carte, provisoirement du moins...
Nous sortons.
C’est un voyage, c’est un film,
c’est un rêve.
Et inversement.
En fait c’est inextricable.
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