Mais nous y reviendrons
Crête de Charance. Des pierres et
encore des pierres, salies, blanchies, où le temps s’enkyste. Vieux, rugueux
cuir des montagnes que l’ombre des nuages sale presque avec excès ce dimanche,
et qui s’achève en bas pas les fragiles et transparents plis des champs, des
forêts bleues et des jardins, des prairies des hommes ; qui s’achèvent par
leurs maisons de poupée aux fenêtres stupéfaites et aux toits méthodiquement, brisés.
La plaine dort déjà, rêve parmi
les ruines de l’été, ou chute... En fait elle est déjà jaunie par l’automne, cette
impératrice douairière à la vieillesse qui s’étale comme une robe sans fin et
mordorée, chinoise... elle s’immerge dans une eau invisible et mouvante, la plaine, un liquide qui n’est ni de la
terre, ni du ciel mais d’un transparent entre-deux, puis fait des tableaux proprets
et nommables, à foison pourvu que l’œil se laisse prendre par ce sommeil de
combe ou ravine, plancher d’humus pourrait-on aussi dire ; des tableaux où rien
ne dépasse ou fume excessivement...elle est transparente en fait, ou plutôt
translucide, comme une vieille peau qui
laisserait voir veines et chairs, bile et lymphe, toutes les humeurs qui se
baladent le long des chemins de terre battue et des routes de goudron, des fils
électriques et du langage, et qui irriguent par pulsations, le monde d’en bas.
Ici, sur les dents des récifs,
les arêtes, crêtes, vertèbres de la montagne,
nous sommes bien au contraire au sec, et éveillées, à l’unisson des
vents ; tranquillement lovés dans un silence au front de fer, à la
jointure des muscles figés où nous fourmillons.
Des nuages aux dessus des Ecrins
polluent systématiquement la lumière fatiguée d’un été prolongé par inertie,
prenant à rebrousse- poil le cuir rugueux de la montagne.
Et je respire des pensées étranges,
pensées-pierre, pensée- nuage, gentiane, pensée crotte de renard ou
mélèze, pensées fulminantes que je
garderai in petto fier comme un coq de bruyère. Car d’ici il ne sortira rien, c’est un pays affranchi à la gueule de
pierre et au rictus de poussière blanchie, désert ou toundra, le royaume des
mots en somme : des pierres et encore des pierres, salies, blanchies où le
temps s’enkyste.
Mais nous y reviendrons.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire