samedi 16 février 2019


Mais nous y reviendrons


Crête de Charance. Des pierres et encore des pierres, salies, blanchies, où le temps s’enkyste. Vieux, rugueux cuir des montagnes que l’ombre des nuages sale presque avec excès ce dimanche, et qui s’achève en bas pas les fragiles et transparents plis des champs, des forêts bleues et des jardins, des prairies des hommes ; qui s’achèvent par leurs maisons de poupée aux fenêtres stupéfaites et aux toits méthodiquement, brisés.
La plaine dort déjà, rêve parmi les ruines de l’été, ou chute... En fait elle est déjà jaunie par l’automne, cette impératrice douairière à la vieillesse qui s’étale comme une robe sans fin et mordorée, chinoise... elle s’immerge dans une eau invisible et mouvante,  la plaine, un liquide qui n’est ni de la terre, ni du ciel mais d’un transparent entre-deux, puis fait des tableaux proprets et nommables, à foison pourvu que l’œil se laisse prendre par ce sommeil de combe ou ravine, plancher d’humus pourrait-on aussi dire ;  des tableaux où rien ne dépasse ou fume excessivement...elle est transparente en fait, ou plutôt translucide, comme une vieille peau  qui laisserait voir veines et chairs, bile et lymphe, toutes les humeurs qui se baladent le long des chemins de terre battue et des routes de goudron, des fils électriques et du langage, et qui irriguent par pulsations, le monde d’en bas.
Ici, sur les dents des récifs, les arêtes, crêtes, vertèbres de la montagne,  nous sommes bien au contraire au sec, et éveillées, à l’unisson des vents ; tranquillement lovés dans un silence au front de fer, à la jointure des muscles figés où nous fourmillons.
Des nuages aux dessus des Ecrins polluent systématiquement la lumière fatiguée d’un été prolongé par inertie, prenant à rebrousse- poil le cuir rugueux de la montagne.
 Et je respire des pensées étranges, pensées-pierre, pensée- nuage, gentiane, pensée crotte de renard ou mélèze,  pensées fulminantes que je garderai in petto fier comme un coq de bruyère.  Car d’ici il ne sortira rien, c’est un pays affranchi à la gueule de pierre et au rictus de poussière blanchie, désert ou toundra, le royaume des mots en somme : des pierres et encore des pierres, salies, blanchies où le temps s’enkyste.
Mais  nous y reviendrons.

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