Souvenir de Bourg d’Oisans 2010
De la salade frise les monts bourrus, court oblique le long
des muscles nègres des falaises.
Un homme sans visage, citadin immobile et pressé, pisse en
bord de route ; son profil sombre d’assassin de trèfle et plantain se détache
d’un plessis de branchages qui frémissent au vent.
La Romanche, bien nommée en ce qu’elle commence à séparer les
terres d’Oc de l'Arpitanie, gargouille joliment, creuse -dans un chant et
chahut d’alumine, rouille- son lit farouche et sauvage (ce qui la compresse et
l’étrangle), fend le cœur des bourgs aux toitures obtuses et pilonnées d’ombre...
Elle va de ça de là, zigzague de vallée en vallée sous le beau soleil de l’été.
Dans Oisans, il y a WOA, ouverture aqueuse, admiration
primitive, suivi du Zan vigoureux, martial, sonore zozotement disant l'élancement
et les pliures ingambes, en Z, des montagnes.
La plaine s’élargit, s’ouvre, telle l'intérieur de la bouteille de vin après le
goulot, elle se bourrelle de bois et villages aux grosses pierres fumantes sous
le soleil qui mirlitone, murailles derrière lesquelles se cachent les us et
coutumes d’une invisible paysannerie, jusqu’à Bourg qui est une capitale
maraîchère où on fait le négoce de l’ail,
de la tome et du gigot.
Bourg, une concrétion enfin épanouie, l’été, telles qu’on
en trouve dans les Alpes françaises ; où on
rencontre les inévitables cyclistes néerlandais en habits de
sauterelles, très imprévoyants à en juger par le ciel qui se froisse et
grisonne dangereusement, et les gens de la ville aux vêtements courts et aux
petits yeux fatigués.
Il y a aussi dans l’air des odeurs de poudre d’alumine et
de pain frais, de piquette rouge sang tenue en verre par les mains rugueuses
des buveurs du cru, résistant sur d’anciennes terrasses à la foule que le vent
pousse.
La Romanche qui a comme un croupissement translucide propre à
enchanter de vieux peintres du dimanche, et vraiment charmante quand un tronc
lisse et imberbe l’enjambe en guise de pont, gît au pied de l’hôtel de Milan et
des étals des coûteux saucissons savoyards. Par-dessus les frondaisons des
frênes couleur épinard – vraiment du fer frémit dans le mouvement de leurs feuilles pennées- s’élancent, altières des falaises grenues d’un bleu opaque qui
s’achève par un surprenant et presque à couper le souffle mouvement de vagues,
un étirement de métal azoté pailleté de lumière où s’installent des villages
indiens de tôles et de fumées.
Et puis encore un peu au-dessus les plasmes nuageux tremblent
près des sommets qui se renfrognent, empâtent les cols menant vers l’Alpe
d’Huez.
Echappé de la capitale, malgré la pluie annoncée par les
instances touristiques, je m’en vais flairer les pentes appuyant insolemment
mon regard aux plissures ivoiriennes des monts du sud, boulotte mes vivres,
écrase le romarin, avant de m’enfoncer dans un sous-bois où végètent les
coudriers mûrissant en silence les dures noix de l’automne.
Je sais que par
là-bas, loin des sentiers battus, d’ailleurs désertés en raison de la pluie qui
martelle sa menace dissolvante, et l’habituelle lâcheté du touriste, je vais
trouver mes souvenirs, aussi expressifs que l’humidité d’avant l’automne, vieux
fossiles suintant d’une revigorante nostalgie, aussi vifs que le rouge du
coquelicot, ou le jaune doré du millepertuis, aussi enracinés et nourrissants
que le hêtre.
Et je ne me dis qu’il est bon mais aussi étrange de se
« rappeler » de choses pourtant bien présentes, de voir la fleur
ancienne dans la fleur nouvelle qui n’en est pourtant que plus belle, à cause
de ce duvet grisonnant que lui fait le temps.
Montagnes du Dauphiné,
vieilles mères renfrognées aux lourdes jupes de métal...
Dans cette quête peu me chaut la pluie qui joue avec moi
autant que je joue avec elle, qui en me chassant m’emmène toujours plus vers le
souvenir : hêtraies, villages abandonnés plein d’araignées et de vieux
crucifix, torrents qui gargouillent, tilleuls solitaires. Ne serait-ce t’il pas
que la pluie donne elle-même un rythme et un sens au souvenir ?
Enfin je me trouve très mouillé et retourne, alors que le
soleil est réapparu à l’occident des monts bourrus, vers la capitale, passant
au préalable par Ville Noire où j’ai sondé du regard les jardins. La pluie
continuait.
Une bien belle journée
dans cette Oisans en somme.
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