Tunnel blanc
C’est comme un tunnel blanc qui tomberait du ciel vers nous, sur nous,
comme au ralenti, en tourbillons sans cesse recommencés, recouvrant rapidement
les routes et les places d’un manteau fictif, sans épaisseur, de poudre de
silence.
Le pied écrase cette illusion qui fleurit parfois en hiver, il laisse
derrière lui de larges traces de caoutchouc découpées dans le manteau du
couturier d’Hyperborée, pas à pas. Cela suit les hommes qui rentrent chez eux,
cela les accuse presque, ces traces courbes, rythmées, d’une monocorde danse
urbaine dictée par le temps. Cela trahit un empressement dépourvu de poésie.
Mais, bien qu’il faille systématiquement hâter le pas quand on circule
dans la ville, ou même dans un modeste bourg montagnard, comme ici, l’œil reste
attiré par la manne chue, le regard aime à se perdre et fourrager inutilement dans les profondeurs de ce
tunnel blanc qui nous arrive en pleine face… Nous sommes alors des gargouilles
voilées de gel, nous sourions béatement, intérieurement, de notre Docte
ignorance… Pourquoi la neige ? Pourquoi aujourd’hui ? la légèreté de la sensation va de pair avec le clair sentiment, la certitude
même de perdre du temps, franchement de perdre du temps, de laisser le temps
tomber en parachute, en molles pétale de
cerisier alcoolique sur le sol noirâtre,
sur nos cheveux noirâtres , nos mains d’asphalte sur, nos godillots
bientôt recouvert de manne blanche comme
silence.
Que de temps perdu à regarder l’en haut disparaître dans l’en bas le
long des parachutes de silence, le long
des flocons d’une blancheur de catastrophe au rythme des tourbillons du
tunnel…Je serai bien puni ! puni
par la neige accumulée sur ma chevelure, giflé par la neige décongelée je
prendrai froid… bientôt je serai coiffé d’un Poulpe dégoulinant son sale
mélange d’eau et de neige, ridicule…
Alors je hâterai le pas, je rentrerai en trombe dans la maison que
réchauffe depuis des heures et des heures le pelage tigré d’un chat qui a abandonné les autres
hommes. De là je pourrai à nouveau regarder calmement la neige tomber. Et ce
sera même mieux, ce sera plus beau, plus pur, plus lent et plus silencieux…
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