dimanche 27 juin 2021


 Massif d'Aurouze_27 juin 2021

 

   La nature répond à toutes nos questions, sans qu’on lui ait posé de questions. Elle ne répond précisément à aucune. Elle est tout entière réponse, au vide, à l’absence, à l’angoisse, à la souffrance inhérente aux interrogations, inhérentes à la « question », prise dans son sens moyenâgeux. Tout entière positivité, plénitude, yang, de la réponse qui vient combler ce vide.

   La pierre beige qui forme strates après strate un pierrier coulant vers le lit de la rivière en contrebas, répond. La pierre bleue des chemins à l’arête tranchante répond, dans l’éboulis menant au plateau de Bure.

  Mais dans leur réponse même, par leur réponse même, voilà qu’ils gomment les anciennes questions, devenue caduques depuis l’entrée dans l’arrière-pays. Ils répondent tous à côté, mais cet à côté est le véritable centre, celui auquel je ne pensais plus, le centre par rapport auquel j’étais décentré.

  Au niveau du mélézin où s’effectue en général la pause les oiseaux répondent par des trilles, des gouttes à goutte de notes qui percent, qui fendent, qui ponctuent le silence de virgules de sens. Chacun répond dans le mille, dans le centre vide de la cible de l’esprit et du corps.

 Et toutes ces répondes qui affluent forment un langage auquel je participe par mes pensées et par mes pas. Alors je commence moi-même à réponde au lieu de m’interroger, au lieu de creuser mon vide en le soumettant à la « question », au sens moyenâgeux du terme.

  Ici dans les éboulis qui mènent au désert blanc cassé (couleur d’une toison de mouton à l’automne, sous le gris du ciel) du plateau de Bure, la pierre est chaude et légère, on y enfonce le pied comme dans un sable en été. Ici en entend s’effriter la montagne à chaque passage des chèvres de Cham qui en gravissent les paliers avec ce mélange de joie et d’entêtement qui les caractérisent, qui caractérisent leur philosophie du mouvement sur les crêtes, à l’ombre des sommets, dans les tours de garde d’Artémis.

Eboulis, du feu, de la musique et du sable couleur saumon.

Fendues net les pierres laissent voir leur chair striée. En elles, tout s’est cristallisé : le feu, la terre et  l’air, le bois, les organes, les os, arêtes, les coquilles et les veines, les dents, les pensées des bêtes de l’océan et leur goût extrême pour la vie… le temps lui-même s’est cristallisé dans la chair fendue, orangée, striées, de ces pierres des éboulis , je le sens, en millénaire de millénaires compactés, battre en elle lorsque je les soupèse, lorsque je laisse leur chaleur peser au creux de mes mains.

Tout s’est figé, il y a de cela des millénaires de millénaires, dans le seul but d’être encore là maintenant. Si je collais sur mon oreilles une pierre, cette pierre chaude et légère à la chair couleur saumon j’entendrais peut-être battre, en profondes ondes océanes le temps qui s’est figée en elles. Mais à quoi bon, le présent suffit bien, en particulier quand on est à 1000, 1500, 2000, 2500 mètres et que l’on ne reçoit que des réponses depuis le début de l’ascension du plateau de Bure, que l’on reçoit des réponses à chaque pas, ou presque, par le violet profond des gentianes, par le jaune d’œuf des doronics.

Tout s’est figé mais le travail continue, de la montagne, par l’eau et le vent qui creusent et usent les peaux et les chairs, les fronts de la montagne, les cous et les côtes de la montagne, son ventre. Se réduit son feu intérieur, ses braises sont maintenant si tièdes depuis des millénaires.  Au moment de la descente, dans le désert vertical du grand éboulis, des touffes d’herbe font leur apparition, des racines mordent dans la pierre qui bientôt sera profondément humiliée. Alors, à quelques centaines de mètres en contrebas, recommencera la comédie des végétaux, celles des prairies et des forêts optiques où se perd le regard, dans la démultiplication du même, jusqu’au vertige de l’ombre.

 Dans l’éboulis tout était figé mais tout était également musique. Une musique de verres et de tessons remélangés, foulés à chaque pas, ce qui accentuait à chaque pas le drame de la rupture et de l’éparpillement. Tout bougeait ou menaçait de le faire. Y régnait une instabilité de sable. D’un tas de pierres on pouvait se faire un trône confortable où l’on écoutait le vent sculpter le vide. L’Eboulis qui relaie le haut et le bas, l’origine (le feu) et le présent (la végétation qui nourrit les moutons et les hommes en contrebas) était plus excitant que l’étage inférieur qui se précise (mélèzes et hêtraies, puis orties) et qui ne se nourrit finalement, à l’issu de l’éboulis, que des restes de la montagne : os, carcasses, chair des géants autrefois de feu et de lave, bientôt transformés en terre.

  Etage feutré et stable des racines.  Retour dans le présent et sa comédie végétale.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire