Sur les vieux chemins des
bêtes et des hommes
Plus je vais sur les chemins, en
particulier ceux de la montagne, et plus j’ai cette certitude :
les bêtes, les premières, ont
ouvert la voie, ont tracé le premier sillon dans le vieux cuir de la terre.
Archives, géoglyphes, courbes entrecroisées, entrelacées, des pérégrinations
des bêtes dans un halètement primitif.
Cela doit être en particulier le
fait des animaux au souffle long : cerf, élan, ours, loup…
Ce n’est qu’ensuite qu’un chasseur
solitaire à l’oeil aiguisé, ou toute une troupe, est parti à leur suite, sur le
même chemin toujours à retracer, jusqu’à ce qu’il soit une plaie dans la terre.
Le scénario est rebattu, l’impulsion qui s’empare de l’espace, initiant la
carte, sera toujours la même ; sur la terre les traces des animaux et des
hommes se mêlent et se confondent, usent ensemble le cuir de la terre jusqu’à
l’os de granit, ou calcaire, approfondissant avec le temps le sillon initial.
Le chemin se tracerait d’abord
par la répétition d’un même halètement entremêlé, communément tressé, de
l’animal et de l’homme, sur des siècles dont le souvenir s’efface tandis que
s’affirme le chemin. L’usante poursuite qui consume le cuir de la terre
commence ainsi par l’imitation de l’animal par l’homme. Imitation de sa
vitesse, de sa précision, de sa sauvagerie, de son entêtement à vivre.
Puis l’homme est imité par d’autres hommes,
amis ou ennemis, par d’autres chasseurs bientôt alignés en files indiennes sur
le même chemin de salut ou de perdition.
L’eau, des rivières et des
cascades, l’eau des lacs où se reposer, donne un certain courage à tous,
hommes et bêtes, jusqu’à ce qu’un pays finalement émerge de ces lacis, de ces
tresses formées par les courses des bêtes et des hommes.
Aujourd’hui les vieux chemins se
croisent et recroisent, formant encore ce filet où sont pris les promeneurs
ainsi que quelques bêtes sauvages. Filet de l’espace et du temps où sans le
savoir les uns vont vers les autres. Parfois, au carrefour, on croise des renards,
des chevreuils, ou des loups pour les plus chanceux…
Dans les montagnes, il est encore
un chemin des plus archaïques et naturels, qui est aussi un passage,
encourageant l’écoulement des hommes et des bêtes, lesquelles ont sans doute
ouvert là aussi la voie : chemin de bascule, chemin-trouée dans le ciel, chemin
du col.
Le chamois à la corne provocatrice, au
lointain regard rouge et noir, relie plusieurs vallées et pays, passe de l’une
à l’autre par le col, comme les hommes qui lui ont emboité le pas.
Au col le chemin s’arrête sur un
moment de blancheur, sur un nuage sorti des profondeurs chtoniennes, sur un
vide où transparaît soudain l’autre pays, l’autre vallée de l’autre côté, car
déjà ça recommence.
C’est une nouvelle naissance par
un nouveau chemin, par un nouveau lacis de routes. On croyait, au col, être
sorti du chemin, de la pesanteur et de l’intrications des désirs, mais non on
redescend.
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