Le noyer
De la
couleur (bleu-gris) d’un ciel d’avant la pluie, d’avant l’éclat sec de la
foudre. Puis absolument sans couleur, disparaissant, lors des neiges de
l’hiver-longtemps-craint. Tout de brume, de froid, tout d’oubli, alors.
A la
peau talquée, et lisse, comme celle de l’olivier dont il semble le parent, le
lointain cousin du moins (mais plus gras et introverti), des montagnes (presque
toujours l’ombre d’une montagne pèse sur ces noyers partis en avant-garde de la
civilisation, aux confins d’une vallée préalpine).
Pourtant
cette peau, légèrement pâteuse, bleutée, bientôt se craquelle, se crevasse
même, depuis l’entame du tronc jusqu’aux prémices des branches supérieures. Des
branches qui, saisissant votre regard, jettent bientôt sur vos yeux envoutés
une flexueuse toile d’araignée que l’on fait semblant de ne pas voir. Il craque
alors intérieurement le noyer, jouit de craquer de toutes ces extrémités
tentaculaires qui projettent une ombre (toute cérébrale) sur le dormeur imprudent,
sur le dormeur inconscient, en été.
Il y
a, pour moi du moins, quelque chose de définitivement cérébral dans le noyer,
quelque chose de tendu, de saccadé, d’écrit avec les nerfs ; en
particulier dans les extrémités de ces branches qui finissent en crochets, en
boucles presque... Quand on regarde sous la jupe de l’arbre en hiver on voit
alors ces branches lézarder en meutes le bleu du ciel, on les voit percer les
nuages et même interrompre le cercle du Soleil. On dirait qu’elles vont même
pactiser entre elles, ces branches du noyer, se rejoindre dans leur tortueux
effort pour former une véritable voute.
Envoutement
des branches du noyer.
Et pourtant
il demeure quelque chose de mou, de réellement flexueux, dans les crispations
cérébrales du faiseur d’huile... La toile d’araignée mollement se balance dans
le ciel, retenue par le tronc bleu-gris qui l’amarre aux profondeurs
chtoniennes. Un tronc sans caractère, sans véritable passion. lisse et talqué,
crevassé par l’effort de croître. Attire puis repousse, le noyer, toujours gras
et introverti, doux et sombre, aimable mais peu attaché, et peu attachant
aussi.
En
avant-garde de la civilisation dans les vallées drômoises ou d’Isère, seul,
isolé, il fait craquer ses branches, souvent au mitan d’un champ de cailloux
nouvellement hersé, lance sa belle voute d’un vert avocat par-dessus la terre
marron-rouge, en regard des montagnes qui lui préparent ces éclairs, cette
électricité qui le fait croître de cette manière, nerveuse, crochue, saccadé,
pas du tout huileuse en tous cas...
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