Sud
On marche
vers le Sud avec une idée en tête, aussi molle, blanche et tenace qu’un
printemps ; se caller contre des hanches solides, sous la voûte romane du ciel,
et laisser que le plaisir prenne enfin racine. La plaine s’est élargie. Un
fleuve y coule, à la verticale du midi, après s’être défait de la laisse qui le
retenait encore à l’ombre épaisse et âpre des montagnes. Nous atteignons déjà
les prémices d’un évasement de mer, d’îles, d’Afrique, de Portugal, de rochers
et d’écueils placés sous le signe de l’étoile du Sud, cette mère très lointaine
qui scande une même égalité dans l’ardeur.
L’idée du
Sud que nous avions encore en route, l’idée de son lieu sûr et précis je veux
dire, se noircit et éparpille à l’endroit d’une vaste périphérie
méditerranéenne -Italie, Espagne, Nîmes- à l’adret du monde. On y est ?
pas encore, car le centre fuit vers une nouvelle profondeur tisonnée par le
soleil. Il mérite que l’on hisse de nouvelles voiles, convoque des cartes
antiques et déterre des mots anciens.
Débute
dans la sueur noire et l’enracinement du chêne le partage scintillant de ce
centre à la fois très proche et très lointain.
Entretemps
l’espace s’est ouvert à des déserts qui lancent les filets de braise de leurs
vents, à des gouffres subtropicaux où flottent des continent entiers- tant le
sud est incommensurable, de hanches et de sexe ; tant il est à évasé en
ses prémices puis cerclé d’océans tenus par le même gouvernail des courants et
des vents. Ronde immensité du territoire de l’étoile sur lequel débouche notre
marche, et notre idée du Sud, surprises par plus grand qu’elles.
Des
montagnes moutonnent encore dans le Nord qui s’affaisse, mais leurs mornes
ruades ont pris fin ; leurs flancs ne seront plus crevés par des aiguilles
de pierre ni les cendres amères du Septentrion ne teinteront ses falaises d’un
gris saturnien ; elles auront plutôt des scintillements de corail, des
douceurs de pierres ponce. Jusque dans la nuit des troupeaux de brebis
brouteront à leurs franges humides laissant derrière elles de longues trainées
de crottes odorantes.
Alors, en
allant vers les plages on sentira
peut-être revenir à nous les terres les plus éloignées, les plus
fuyantes sur les latitudes, qui en vagues, en mots irisés d’iode et de sang
battront à nos portes, sous la même voûte étoilée.
Vase du sud,
clos sur une touffeur de langues, de mots comestibles et de cris couverts par
l’ample chapeau de paille du grand Pan, tu reposes dans le vaste, le huileux va
et vient du proche et du lointain, de la cigale et du scorpion, traduits
incessamment l’un dans l’autre à la vitesse d’une voile.
On marche
vers le sud, ou mieux on s’assoit sur une borne milliaire, s’accommode de la
vieille ferronnerie d’un banc d’ombre et de murmure, du sable caillé et non
encore labouré d’une plage de Camargue, et sous la grande voute romane du ciel
on attend, les pieds en éventail, que les mots eux-mêmes, ses pierres parfois
si dures, se traduisent en couleurs...
vert de canne, jaune de paille, mauve de vin.
Puis une
lumière
...
Puis le
bruit d’un même gouvernail fendant sans retour les eaux planes de la mer.
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