jeudi 12 octobre 2017







 
Sud


On marche vers le Sud avec une idée en tête, aussi molle, blanche et tenace qu’un printemps ; se caller contre des hanches solides, sous la voûte romane du ciel, et laisser que le plaisir prenne enfin racine. La plaine s’est élargie. Un fleuve y coule, à la verticale du midi, après s’être défait de la laisse qui le retenait encore à l’ombre épaisse et âpre des montagnes. Nous atteignons déjà les prémices d’un évasement de mer, d’îles, d’Afrique, de Portugal, de rochers et d’écueils placés sous le signe de l’étoile du Sud, cette mère très lointaine qui scande une même égalité dans l’ardeur.
L’idée du Sud que nous avions encore en route, l’idée de son lieu sûr et précis je veux dire, se noircit et éparpille à l’endroit d’une vaste périphérie méditerranéenne -Italie, Espagne, Nîmes- à l’adret du monde. On y est ? pas encore, car le centre fuit vers une nouvelle profondeur tisonnée par le soleil. Il mérite que l’on hisse de nouvelles voiles, convoque des cartes antiques et déterre des mots anciens.
Débute dans la sueur noire et l’enracinement du chêne le partage scintillant de ce centre à la fois très proche et très lointain.
Entretemps l’espace s’est ouvert à des déserts qui lancent les filets de braise de leurs vents, à des gouffres subtropicaux où flottent des continent entiers- tant le sud est incommensurable, de hanches et de sexe ; tant il est à évasé en ses prémices puis cerclé d’océans tenus par le même gouvernail des courants et des vents. Ronde immensité du territoire de l’étoile sur lequel débouche notre marche, et notre idée du Sud, surprises par plus grand qu’elles.
Des montagnes moutonnent encore dans le Nord qui s’affaisse, mais leurs mornes ruades ont pris fin ; leurs flancs ne seront plus crevés par des aiguilles de pierre ni les cendres amères du Septentrion ne teinteront ses falaises d’un gris saturnien ; elles auront plutôt des scintillements de corail, des douceurs de pierres ponce. Jusque dans la nuit des troupeaux de brebis brouteront à leurs franges humides laissant derrière elles de longues trainées de crottes odorantes.
Alors, en allant vers les plages on sentira  peut-être revenir à nous les terres les plus éloignées, les plus fuyantes sur les latitudes, qui en vagues, en mots irisés d’iode et de sang battront à nos portes, sous la même voûte étoilée.
Vase du sud, clos sur une touffeur de langues, de mots comestibles et de cris couverts par l’ample chapeau de paille du grand Pan, tu reposes dans le vaste, le huileux va et vient du proche et du lointain, de la cigale et du scorpion, traduits incessamment l’un dans l’autre à la vitesse d’une voile.
On marche vers le sud, ou mieux on s’assoit sur une borne milliaire, s’accommode de la vieille ferronnerie d’un banc d’ombre et de murmure, du sable caillé et non encore labouré d’une plage de Camargue, et sous la grande voute romane du ciel on attend, les pieds en éventail, que les mots eux-mêmes, ses pierres parfois si dures, se traduisent en couleurs...
 vert de canne, jaune de paille, mauve de vin.
Puis une lumière
...
Puis le bruit d’un même gouvernail fendant sans retour les eaux planes de la mer.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire