mardi 14 juin 2022

 


A propos des cailloux

  

Le « C » est enveloppe vide, coquille de noix fumante trouée à l’Orient, à l’image du Caillou.

« C » de caillou, le « C » caillasse, de calcaire, charnier, casse, clapas, etc, de toute chose ayant à voir avec la pierre étourdie parfumé au thym ou le caillou sonore, avec la caillasse, couverte d’ecchymoses bleuâtres, des rivières de montagne ou avec le cinglant, le pétaradant gravier des routes refaites, ayant à voir avec la falaise qui vous nargue et écrase de son ombre cramoisie ou avec le rocher qui vous envoûte ;  avec la sourde montagne qui croît dans votre dos…


 (La pierre, Le caillou est à cheval sur plusieurs dimensions, celle du grain de sable et celle de la montagne.)


« Coquille sans fruit » pourrait-on dire de tout déchet de calcaire, granit, gneiss, péridotite… pourrait-dire de tout caillou, caillou accumulé, tombé, disséminé pulvérisé, contre lequel butte le pied ou le regard… Enveloppe remplie, comblée d’une autre enveloppe enveloppant la peau  d’une peau, et  ainsi de suite, jusqu’à la moelle de néant, jusqu’au Rien radical, plus radical que la poussière des chemins .

Le caillou est en fait privé de peau et partant d’intérieur, comme d’extérieur ; ou plutôt son intériorité est aussi une extériorité, une extériorité qui s’ignore, qui est rejetée hors de la Vie manifeste. Et cela interroge...

 Il est rejeté à l’extérieur comme tout ce qui a fait irrémédiablement son temps, le caillou. Il est tout entier os temporel dénudé de sa chair, hors de la vie manifeste et pourtant socle de cette dernière, car il est aussi une peau, ou une croûte qui recouvre la terre de part en part, la protégeant, et nous protégeant d’elle.

Caillou, pour les enfants : intéressant pour ses propriétés contondantes,  pour son sifflement dans l’air des vacances d’été. Sifflement d’œuf sourd. 

Œuf sourd. On l’entend fatalement siffler dans l’air de l’été, quand on est encore enfant, le caillou, la pierre sifflante des guéguerres enfantines, siffler cette creuse enveloppe lancée à l’ennemi, et parfois renvoyée à l’expéditeur...

 Œuf lancé, oeuf fatal, destiné à provoquer quelques drames familiaux, à générer quelques problèmes sanglants avec le voisinage. Pendant l’enfance, caillou-outil, caillou-arme… comme il le fut pour l’homme d’avant l’Histoire.

Pour l’adulte le caillou est mystère des origines et des fins. Plus profondément est peau recouvrant la terre, à l’endroit de ses volcans et des blessures anciennes, formant ainsi des cicatrices pyramidales des cicatrices  bossues, des cratères borgnes et des gorges siphonnées, et puis  des vallées de larmes, et de fumants déserts de sable sans  aucune valeur ; formant des regs qui emprisonnent l’Afrique.

Pour l’adulte contemplateur et poète : est Pierre, sainteté de la pierre dépouillée de toute vie manifeste, pierre à la franchise aiguisée et extrême, taillé dans l’ascétisme des sommets ou des mines, pierre surgie de la matrice des éons , pierre tout entière dévouée au temps, tout entière prise dans la gaine du temps dans sa version, dans sa fonction,  d’ Eternité sourde.

Pour le maçon est simplement fragment de mur à reconstituer, élément inconscient d’un futur puzzle architectural et sonore (le vent qui joue sur la pierre). Est musique, est note à placer sur la portée d’une muraille où pianotent les lézards.




Pierre, caillou creux et musical.

Pour d’autres est Œuf de soleil et de temps pondu par la montagne, œuf à saisir, inspecter, à soupeser puis lancer dans l’oeil d’une flaque, d’un cratère, dans l’œil du vide en contrebas, pour une omelette sonore.

On entend alors la musique de la dégringolade, le ramdam provoqué par la chute de ce creux ,  de ce caillou musical, ainsi que, à flanc de falaise, les chocs des extériorités provoqués à répétition par le caillou, le caillou, caillou, caillou tombant, dégringolant, sans intérieur, sans extérieur, vide et creux caillou pressé de rejoindre la caillasse de calcaire des casses à cailloux.

dimanche 29 mai 2022

lundi 25 avril 2022


 Massif d'Aurouze, depuis les crêtes de Charance, 10 avril, premier tour des élections présidentielles.

samedi 9 avril 2022

 

 




Le noyer

 

 

De la couleur (bleu-gris) d’un ciel d’avant la pluie, d’avant l’éclat sec de la foudre. Puis absolument sans couleur, disparaissant, lors des neiges de l’hiver-longtemps-craint. Tout de brume, de froid, tout d’oubli, alors.

 A la peau talquée, et lisse, comme celle de l’olivier dont il semble le parent, le lointain cousin du moins (mais plus gras et introverti), des montagnes (presque toujours l’ombre d’une montagne pèse sur ces noyers partis en avant-garde de la civilisation, aux confins d’une vallée préalpine).

 Pourtant cette peau, légèrement pâteuse, bleutée, bientôt se craquelle, se crevasse même, depuis l’entame du tronc jusqu’aux prémices des branches supérieures. Des branches qui, saisissant votre regard, jettent bientôt sur vos yeux envoutés une flexueuse toile d’araignée que l’on fait semblant de ne pas voir. Il craque alors intérieurement le noyer, jouit de craquer de toutes ces extrémités tentaculaires qui projettent une ombre (toute cérébrale) sur le dormeur imprudent, sur le dormeur inconscient, en été.

 Il y a, pour moi du moins, quelque chose de définitivement cérébral dans le noyer, quelque chose de tendu, de saccadé, d’écrit avec les nerfs ; en particulier dans les extrémités de ces branches qui finissent en crochets, en boucles presque... Quand on regarde sous la jupe de l’arbre en hiver on voit alors ces branches lézarder en meutes le bleu du ciel, on les voit percer les nuages et même interrompre le cercle du Soleil. On dirait qu’elles vont même pactiser entre elles, ces branches du noyer, se rejoindre dans leur tortueux effort pour former une véritable voute.

 

Envoutement des branches du noyer.

 

Et pourtant il demeure quelque chose de mou, de réellement flexueux, dans les crispations cérébrales du faiseur d’huile... La toile d’araignée mollement se balance dans le ciel, retenue par le tronc bleu-gris qui l’amarre aux profondeurs chtoniennes. Un tronc sans caractère, sans véritable passion. lisse et talqué, crevassé par l’effort de croître. Attire puis repousse, le noyer, toujours gras et introverti, doux et sombre, aimable mais peu attaché, et peu attachant aussi.

 

 En avant-garde de la civilisation dans les vallées drômoises ou d’Isère, seul, isolé, il fait craquer ses branches, souvent au mitan d’un champ de cailloux nouvellement hersé, lance sa belle voute d’un vert avocat par-dessus la terre marron-rouge, en regard des montagnes qui lui préparent ces éclairs, cette électricité qui le fait croître de cette manière, nerveuse, crochue, saccadé, pas du tout huileuse en tous cas...

jeudi 7 avril 2022





 Oule, mars-avril 2022


 Hêtraie de la montagne d’Oule

 

 Hêtraie d’Oule, surgissant en ta base d’un entonnoir de calcaire invisible, mais dont on devine assez naturellement la forme cave et la nature d’impasse radicale pourvu qu’on laisse son regard dévaler  les pentes abruptes qui mènent vers ce bas, tu es la fois vieille (pleine de souches, lourde des remugles de feuilles jaunes comme le soleil  vieillissant d’après 18 heures) et jeune comme le printemps.

Tu es vieille et jeune,  comme tout ce qui relève, exclusivement, sans mélange ni mixture de genres, de la nature.

Depuis des bas-fonds ombreux et confus, les troncs blanchâtres filent la métaphore farineuse, sursautent, se tiennent par la racine, nous arrivent, remontant héroïquement, étage après étage, la pente de l’entonnoir...

On peut les voir grimper, faire la course, puis arriver à hauteur de sentier.

Et quand on les voit de près on peut se rendre compte que cet arbre a une peau (une peau de saucisson) qui compresse sa chair, lourde et pulpeuse, et bourrelle le tronc. Une peau qui a aussi à voir avec l’élancement exceptionnel de cet arbre-athlète.

Il s’élance avec une énergie grise, comme un poteau, vers les crêtes ; étincelle dans la pénombre du troupeau d’Oule, le hêtre.  

Troncs blanchâtres, aujourd’hui, plus farineux que d’habitude, troncs moisis par endroit, ou sombres  comme la roche pensive de novembre ou décembre ; troncs immobiles, ou errants, fantomatiques, car l’heure est à l’hiver, de nouveau, en ce début d’avril et le ciel bas laissera bientôt filtrer (alors que j’approche l’échine de mulet de cette montagne à hêtre et genêt qu’est Oule) de délirant flocons, bientôt réduits à rien, mais blancs tout de même et pleins d’une vie aussi minuscule qu’intraitable.

Ce polystyrène rejoindra bientôt  à l’issue d’une chute qui n’en finit pas de légèreté, les troncs noueux, moussus et claffis de bourgeons des chênes blancs. C’est alors rencontre entre la sève encore encapsulée et cette expression météorologique anachronique, pleine d’une soie glaçante, des nues, qui rajeunit ce qui était pourtant déjà nouveau, jeune, et printanier.